Chaudrons

A Bibracte, place forte bourguignonne liée à l’archéologie, Isabelle Bordat met en place un événement qui déborde son propre champ habituel d’expression à savoir le livre et plus spécifiquement la réalisation de remarquables livres d’artiste. Elle propose en effet dans ce lieu un regard autour d’un matériau  autre et nouveau : la céramique. Le point de ralliement de ces deux démarches artistiques fort diverses recoupe en fait une des préoccupations motrice de cette artiste, à savoir la rencontre dans son aspect humaniste du terme, la rencontre d’avec le lecteur ou le bibliophile qui avec plaisir découvre ses livres étranges et féeriques, la rencontre d’avec les chefs cuisiniers qui prendront également un immense plaisir  à mettre en goût leur recettes dans ces chaudrons de grès et de faïence qu’elle crée pour eux. Cette attitude artistique pourrait aujourd’hui paraître étrange dans une période où les artistes se positionnent très précisément dans un étroit et spécifique domaine, crée un produit unique et reconnaissable, véritable marque de fabrique capable de résister aux fortes tourmentes du marché de l’art. Isabelle Bordat a depuis longtemps déjà  fait d’autres choix. Elle ne participe non plus en rien à cette démarche d’art relationnel dont nous parle Nicolas Bourriaud. Isabelle Bordat passe sa vie dans la nature, les monts, la terre de la Saône et Loire. La solitude fait partie de cette vie, l’animalité aussi. Dans son atelier Isabelle Bordat répète créativement un gestuel, gestuel dans ses dessins, dans le dessin de ses lettres, dans les déchirures du papier, les collages de ses images. Ce geste, cette prise en main se retrouve avec la même intensité dans son appréhension de la glaise, l’extrême appétit goulu du pétrissage de la terre. Le livre souvent explose, déborde, se déplie, atteint d’étranges formes nécessaires pour contenir les visions et les délires de la créatrice. Les céramiques parfois éclatent et le four les fend, les tord, les rends inutilisables ce qu’ Isabelle Bordat nomme « ses chaudrons brûlés » qu’elle expose également mais sous une autre forme. Les choses indicibles de la vie habitent et nourrissent ce travail. Cette vraie vie relie le lecteur, le spectateur, le dégustateur qui fréquente ses œuvres. Cette vraie vie est certainement dans cette œuvre à diverses facettes la réalité qui nous capte et nous retient. Nous nous trouvons alors dans ce que Bachelard appelait « l’homogénéité des rêveries qui imaginent ».

Philippe Hardy, février 2007